Par Olivier Pélisson
Le septième art « brasileiro » a particulièrement brillé en mai dernier en France avec la 14e édition du Festival du Cinéma Brésilien de Paris et la présence au 65e Festival de Cannes de cinéastes en compétition officielle (Walter Salles), en séances spéciales (Nelson Pereira dos Santos, Ruy Guerra), en sections parallèles (Anita Rocha da Silveira, Leonardo Sette & Isabel Penoni, Juliana Rojas) et dans les divers jurys (Carlos Diegues président de la Caméra d’Or, Karim Aïnouz dans le jury de la Cinéfondation et des courts métrages).
L’été s’annonce aussi chanceux de présence brésilienne avec la sortie de trois nouveaux longs métrages : Historias, les histoires n'existent que lorsque l'on s'en souvient de Julia Murat le 18 juillet, Insolation de Daniela Thomas et Felipe Hirsch le 25 juillet, et Tourbillon de Clarissa Campolina et Helvecio Marins Jr le 15 août.
Un constat rare pour être signalé. Le nombre de productions brésiliennes ayant droit à une sortie française se compte en effet, chaque année, sur les doigts d’une main. 2003
a atteint le record avec cinq films (Avril brisé de Walter Salles, La Cité de dieu de Fernando Meirelles, Madame Satã de Karim Aïnouz, A la gauche du père de Luiz Fernando Carvalho et Moro no Brasil de Mika Kaurismäki), ex aequo avec 2012 (les trois précités, Trabalhar Cansa de Juliana Rojas & Marco Dutra en avril, Les Paradis artificiels de Marcos Prado annoncé en octobre).
Si certaines grosses productions françaises (OSS 117 Rio ne répond plus de Michel Hazanavicius) et américaines (Rio de Carlos Saldanha, Fast & Furious 5 de Justin Lin) ont récemment pris pour cadre le pays dans son versant exotique, il est finalement difficile de suivre la cinématographie nationale vu d’ici. D’autant plus que les têtes de file du cinéma brésilien s’en vont régulièrement tourner ailleurs, de Walter Salles aux Etats-Unis (Dark Water, Sur la route) à Karim Aïnouz à Berlin (Praia do futuro), en passant par Fernando Meirelles entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique du Nord (The Constant Gardener, 360).
Heureusement, d’autres donnent des nouvelles de leur pays. Deux tendances ressortent des trois films présentés en cet été hexagonal. D’un côté, les personnalités établies de la scène et des arts, Daniela Thomas et Felipe Hirsch, signent un film esthétisant dans la ville ultra graphique de Brasilia. De l’autre, de jeunes cinéastes visitent les terres reculées du Brésil et confrontent les jeunes générations aux anciennes dans une lignée ou réalisme et poésie se mêlent. Trois propositions. Trois visions. Et trois raisons de voyager sur grand écran.
Insolação suit les pas de personnages en proie au doute existentiel et au gouffre des sentiments, dans une cité déserte et dominée par ses lignes horizontales, verticales et obliques. Une vraie léthargie écrase les êtres tout comme le soleil frappe les corps et les matériaux. Et donne le ton de cette variation brésilienne inspirée des récits des maîtres russes Tchekhov, Pouchkine ou Tourgueniev. Il est question d’hommes et
de femmes, jeunes ou moins jeunes, qui se dépatouillent avec leurs pulsions et la peur de la perte de l’être aimé. Voir même du sentiment. Mais ce récit d’implosion de l’amour reste avant tout marqué par sa forme, ultra soignée, trop finalement, tant elle étouffe l’émotion et la charge sensorielle de cette charpente sclérosée sur sa construction savante. D’autant plus que le narrateur apparaît régulièrement dans un snack et donne à lire des textes à des êtres de passage, le long d’un ennui larvé. Thomas & Hirsch sont des artistes esthètes reconnus pour leur travail formel et leur inventivité sur des mises en scène, scénographies, décors et installations (Hirsch vient de mettre en scène à Rio de Janeiro O Livro de itens do paciente estevão d’après un roman de Sam Lipsyte, dont Thomas a assuré la scénographie et les décors). Mais on peine ici à ressentir ces tourments de l’âme et du cœur.
Tourbillon réussit la gageure d’allier une recherche esthétique à un regard humaniste. Les deux héroïnes du film sont octogénaires et mènent avec joie et résistance le fil de leur existence dans un village reculé du Sertão, dans le nord du Minas Gerais. Le cadre fait parfois des inserts sur des détails et des éléments du décor, saisis de manière quasi photographique. Loin d’enfermer le film dans un dispositif trop ostentatoire, il se mêle au contraire à sa portée documentaire. Le duo de cinéastes a fait le pari de suivre les personnages dans leur réalité. Tous se retrouvent pour la première fois devant la caméra et jouent leur propre vie. Dans leurs intérieurs rudimentaires comme sur le perron de leurs maisons. Derrière les fourneaux ou devant la machine à coudre. Une expérience qui lie ainsi intimement le témoignage à la fiction. Bastu et Maria font don de leur allégresse et de leur fantaisie, tout comme elles donnent à voir leur quotidien. Les éléments sont présents, terre, eau, vent, et insufflent à la fiction un souffle de poésie. Maria chante encore et encore. Les mélodies locales et les rythmes scandent les images avec une grâce toute simple. Et le charme opère. Mélancolique. Tourbillon touche à l’universel a travers ce récit de vie et de mort au rythme du soleil et de la nuit.
Avec Historias, Julia Murat rend elle aussi hommage aux plus anciens. Dans la vallée de Paraiba dans la région de Rio de Janeiro, un village préservé du temps et de la technologie se voit bouleversé par l’arrivée d’une photographe baroudeuse. La jeunette se retrouve témoin des faits et gestes quotidiens et répétitifs de son hôte, Madalena. Celle-ci se lève aux aurores pour faire cuire le pain qu’elle porte chaque matin à la boutique de son ami Antonio. Ensemble, ils vont à la messe puis déjeunent avec la petite communauté menée par le curé. Le cimetière est fermé pour une raison obscure. Madalena s’assied devant la grille ou nettoie l’entrée. Elle écrit aussi des lettres d’amour à son mari défunt. La cinéaste capte avec une grande sensibilité le fil du temps du passe. Et la densité de chaque seconde. A pétrir la pâte à pain et manger de l’igname au petit matin. A siroter un café sur un banc. A jouer au lancer de fers à cheval au bord des voies ferrées. A
se chamailler chaque jour autour des mêmes manies. A draguer la jeune femme de passage en lui assurant que la « machine fonctionne ». Des gestes triviaux transcendés par une sorte de pensée magique. Le lien à l’autre, vivant ou mort, maintient l’ordre et le calme fantomatique de ce lieu où l’on ne meurt plus. Ou presque. Chaque mouvement, chaque regard, chaque parole bouleverse.