Par Olivier Pélisson
Age : Tous publics
Sortie : 12 mars 2014
Durée : 1h29
Un film français
Genre : Documentaire
Réalisation :
Julie Bertuccelli
10e arrondissement de Paris. Un collège au milieu d’immeubles près du Canal Saint-Martin. Une classe d’accueil où sont rassemblés des élèves tous juste arrivés de leurs pays, et qu’une enseignante familiarise et perfectionne à la langue française. Ils sont vingt-quatre, et ont entre onze et quinze ans. Ils viennent de Pologne, Tunisie, Mali, Croatie, Chili, Roumanie, Maroc, Biélorussie, Guinée, Brésil, Angleterre, Irlande du Nord, Serbie, Lybie, Venezuela, Côte-d’Ivoire, Etats-Unis, Sri Lanka, Ukraine, Mauritanie et Chine.
Réunis pour une année scolaire, ils attendent d’intégrer une classe de filière classique et de trouver leur voie en France. Pendant une heure et demie, le documentaire les accompagne et suit des présentations, discussions, confrontations, confessions et moments d’émotions avec leur prof Brigitte Cervoni. Un concentré de singularités et d’altérité. Où tous écoutent l’expérience de l’autre en commençant par apprendre à dire bonjour dans sa langue.
Julie Bertuccelli ne filme que dans le cadre de l’école. Aucune intrusion dans l’espace privé. Tous les plans sont situés à l’intérieur de l’établissement et autour du programme pédagogique, comme pour le déplacement au Festival Ciné-Clap du film scolaire de Chartres. Ce parti-pris renforce l’intensité du propos et donne tout son poids à cette cour singulière, car l’enjeu reste concentré sur ce lieu d’éducation, d’apprentissage, où l’individu se construit au milieu du collectif. Et où l’étranger est accueilli avec sa différence.
L’intime pénètre l’école avec les visages et les corps de ces êtres en transition. Des êtres qui s’expriment avec spontanéité et parfois difficulté, tant les mots sont durs à trouver ou à assumer, et qui se font traducteurs quand leurs proches viennent rencontrer l’enseignante et que la compréhension manque. Des pans d’histoires familiales surgissent alors derrière les bureaux scolaires.
Cette transition tant géographique qu’existentielle touche fortement. C’est elle qui a attiré la cinéaste. Ces préados arrivent tous d’un ailleurs plus ou moins lointain et sont confrontés à des nouveaux repères comme à l’apprentissage de la vie, eux qui sont en train de passer de l’enfance à l’âge adulte. Envie de sécurité, pour ceux qui sont menacés dans leur propre pays. Envie de liberté, pour ceux qui y sont muselés. Envie de foyer retrouvé, pour ceux qui étaient séparés de leurs proches.
La caméra capte aussi la spontanéité et les tâtonnements de cette France en devenir. Une « cour de Babel », reflet d’un monde où il faut résister et persévérer pour se faire sa place. Le niveau de français n’est pas le même chez tous, la capacité d’apprentissage et de progression non plus. Mais tous doivent réagir et bougent de leur place initiale et de leurs croyances et certitudes. Le spectateur aussi, qui apprend à connaître et à accueillir ces enfants qui sont le terreau d’un avenir proche.
Julie Bertuccelli, dont l’humanisme romanesque faisait mouche avec ses deux longs métrages de fiction Depuis qu’Otar est parti… et L’Arbre, confirme que son regard reste perçant et bienveillant. En douceur et sans pensum, elle affirme aussi via son art, et via une mise en scène au plus près des visages, que vivre ensemble est toujours possible, et que la mixité n’est que richesse.
Comment j’ai détesté les maths ***
Par Olivier Pélisson
Sortie :
27 novembre 2013
Durée : 1h43
Un film français
Genre : Documentaire
Réalisation : Olivier Peyon
Scénario : Olivier Peyon et Amandine Escoffier
Distribution : Cédric Villani, François Sauvageot, Anne Siety, Jean Dhombres, Jean-Pierre Bourguignon, Jim Simons, Eitan Grispun, Robert Bryant, George Papanicolaou…
Consacrer un documentaire aux mathématiques, il fallait y penser. D’autant plus lorsqu’on n’est ni un pro, ni une éminence. C’est le cas d’Olivier Peyon, réalisateur remarqué dans le portrait fictionnel (Les Petites vacances) et documentaire (Elisabeth Badinter, à contre-courant ; Michel Onfray, philosophe citoyen).
Pour Comment j’ai détesté les maths, il mélange les visages et les paroles, et compose un puzzle impressionniste. Avec une galerie d’initiés et de professionnels de cette discipline millénaire. Une science, une pensée, et même un regard sur le monde. Car ce que nous montre ce film pendant une heure quarante, c’est que les maths naissent avant tout du désir des hommes et agissent sur leur existence concrète. Tout le monde s’en sert chaque jour, ou a recours à un système ou une technologie élaborée sur des données mathématiques. Rien à voir avec les épineux problèmes sur lesquels des tripotées d’élèves ont buté et se sont arraché les cheveux, pour se dire plus tard « ça ne sert à rien ! ».
Plus encore, les maths ont fini par diriger le monde. Notre planète, régie par les marchés financiers et la mondialisation, dépend des agissements de quelques uns, dont l’impact économique sévit en métronome universel. Effrayant, comme en témoigne la seconde partie du documentaire, sur les pas notamment d’un apparent bienfaiteur millionnaire américain (Jim Simons), dont les formules savantes se sont transformées en roulette russe pour les banques et traders.
Cette mécanique programmée est heureusement contrebalancée par des trublions humanistes, chercheurs, enseignants, qui mettent en doute en permanence les assertions et traquent l’indéchiffré, le terrain vierge, la faille, l’espoir de la découverte. A commencer par notre champion national Cédric Villani, dont l’excentricité atemporelle révèle avant tout la quête d’un homme curieux et joueur avec son art. Beaucoup manient l’humour et insufflent de l’énergie oxygénée à l’exercice de la pensée. Tel le jovial prof nantais François Sauvageot accompagnant ses élèves au bord de l’Atlantique.
Dans le même esprit, Olivier Peyon use savamment de la grammaire cinématographique et formelle pour dynamiser son film. Format scope, montage cut et fluide, bande-son jazzy. La caméra explore les visages, les regards, les gestes, les grains de peau de tous ses intervenants qui dépassent finalement le cliché du « matheux » pour révéler leur vérité. Celles d’hommes et de femmes qui observent le monde et le questionnent, tout en se mettant en danger. Comme ce professeur grec émigré aux Etats-Unis (George Papanicolaou), dont l’émotion lié à la situation dans son pays déborde soudainement le cadre de l’interview.
Le cinéaste ouvre aussi la pensée, par essence intérieure, aux espaces géographiques. Il traverse les frontières et les océans (France, Allemagne, Italie, Etats-Unis, Inde), filme la forêt, la plage, la rue fourmillante. La réalité quotidienne et palpable nourrit la réflexion et le témoignage dans un même élan de transmission.
Ces confessions d’enfants du siècle forment une porte d’entrée idéale au quidam pour se re-familiariser avec le questionnement mathématique resté enfoui. Et pour se confronter soi-même à son rapport au monde et à sa capacité à l’insurrection bienfaitrice. Comme quoi, la détestation a parfois du bon !
Ajouter un commentaire Publié le 20 novembre 2013