Par Olivier Pélisson
Sortie :
le 27 janvier 2016
Genre :
Epopée humaniste
Age :
à partir de 12 ans
Réalisation : Bouli Lanners
Distribution : Bouli Lanners, Albert Dupontel, Suzanne Clément, Michaël Lonsdale, David Murgia, Aurore Broutin, Philippe Rebbot, Max Von Sydow…
Quel talent ce Bouli Lanners ! Créatif, inventif, décalé, poétique, humaniste, il se construit film après film un sacré univers, truffé de trouvailles et d’audaces. Son quatrième long-métrage comme auteur-réalisateur est une nouvelle pépite après Les Géants (2011). Quelques jours dans la vie de deux tueurs à gage, sur les traces d’un téléphone portable volé à un riche client, et d’une galerie de personnages pas piqués des vers, qu’ils croisent et recroisent dans un espace-temps où le chaos plane, où la paranoïa couve à chaque carrefour. Il y a de la fable dans ces cent huit minutes sombres et pourtant galvanisantes. De la chronique simple et prophétique à la fois.
Une richesse imaginative née d’un décor réel que Lanners a vu une nuit, d’un train glissant sur les rails, entre Toulouse et Paris. La voie d’essai inachevée de l’aérotrain d’Orléans a ainsi servi de point de départ à un scénario, une histoire, des personnages. Une construction à la marge, devenue le centre névralgique d’une jungle des temps modernes peuplée de désaxés. Où un Jésus, grand dégingandé qui a les traits de Philippe Rebbot, traîne lui aussi sa carcasse, prêt à apporter sa bienveillance aux démunis, aux innocents, aux purs, ce couple d’amoureux simples que sont Esther et Willy (Aurore Broutin et David Murgia). Apparitions drolatiques et émouvantes à la fois.
C’est là que réside la réussite du cinéaste. Dans cette place essentielle que tient l’émotion, sans jamais qu’il tende la perche au voyeurisme, à la complaisance, à la facilité, au téléguidage de la sensiblerie. Son regard est aimant, sensible, puissant, sur ses congénères. Sur l’humanité toute entière, que renferme cette épopée à la croisée des genres. Film noir, film d’anticipation, road movie, fable loufoque. Tout est possible dès lors que l’imaginaire a droit de cité. Aucune limite sinon celle de la logique créative et de l’instinct humain. Périlleux équilibre que Lanners atteint avec une vraie grâce, par son écriture et sa vision.
Son équipe enthousiasme les yeux et l’esprit. Des idées géniales, comme réunir Michaël Lonsdale et Max von Sydow en vétérans ralentis et pourtant au-dessus de tout. Toute la mémoire du cinéma est là, et bien vivante puisqu’elle bouge, parle et respire sur la toile. Pour lier tous ces ingrédients, un maestro de l’image, Jean-Paul de Zaetijd. Déjà à l’œuvre sur les trois précédents opus de maître Bouli, il assombrit la lumière des Géants et compose ici une matière épaisse, tellurique et magnétique, sur l’écran cadré en scope. Une somptuosité plastique qui accompagne les pas bouleversants de cette galerie d’êtres en attente. De quoi ? De qui ? On ne sait pas vraiment, même le film fini. C’est ça le plus fort.