Par Olivier Pélisson
CASA GRANDE ***
Sortie : 3 juin 2015
Durée : 1h55
Un film brésilien
Réalisation :
Fellipe Barbosa
Distribution : Thales Cavalcanti, Marcello Novaes, Suzana Pires, Alice Melo, Bruno Amaya, Clarissa Pinheiro
UNE SECONDE MÈRE ***
(QUE HORAS ELA VOLTA ?)
Sortie : 24 juin 2015
Durée : 1h52
Un film brésilien
Réalisation :
Anna Muylaert
Distribution : Regina Casé, Michel Joelsas, Camila Mardila, Karine Teles, Lourenço Mutarelli, Helena Albergaria
Le hasard de la programmation et des sorties dans les salles françaises en juin offre deux films brésiliens. L’un en début et l’autre en fin de mois. Deux films primés en festivals ; le premier à Rio de Janeiro, São Paulo et Toulouse, le second à Sundance et Berlin. Deux films qui sont un prolongement l’un de l’autre, par leur thématique, leur description du monde en marche et du Brésil actuel, pris entre ses contradictions, son héritage historique et son désir d’émancipation. CASA GRANDE est le premier long-métrage de fiction de Fellipe Barbosa, déjà auteur de courts métrages et du documentaire LAURA (2011). UNE SECONDE MÈRE est le quatrième opus pour le cinéma d’Anna Muylaert, suite à DURVAL DISCOS (2002), É PROIBIDO FUMAR (2009) et CHAMADA A COBRAR (2012). Mais son premier à sortir en France.
CASA GRANDE décrit la déréliction d’une famille très riche de Rio de Janeiro, à travers le fonctionnement de son espace de vie : la maison, d’où vient le titre, littéralement « Grande maison ». Le père, homme d’affaires qui a réussi par le passé, est dans une passe difficile, accumule les dettes et ne peut plus assurer le train de vie bourgeois familial, avec plusieurs voitures, plusieurs employés dans la grande baraque avec jardin et piscine. UNE SECONDE MÈRE suit la chute des valeurs d’une maison bourgeoise de São Paulo, où la femme à tout faire est devenue au fil du temps, comme le titre l’indique, la seconde mère du fils des patrons, au détriment de sa fille biologique à elle, restée dans sa région d’origine (Nordeste), où cette dernière a grandi avec l’argent que sa maman lui envoie.
L’espace de la maison est un théâtre essentiel dans les deux aventures. Une demeure souvent filmée dans ses rituels, vus de l’extérieur dans le premier. Avec plan initial et final sur la bâtisse, côté jardin, avant et après la chute. Et avec plans réguliers au petit matin, lorsque le personnel arrive, de moins en moins nombreux au fil de la crise familiale. Dans UNE SECONDE MERE, c’est l’espace intérieur qui incarne et symbolise les enjeux. Val, employée de maison, ne peut pas aller n’importe comment et n’importe quand dans les lieux dédiés aux « maîtres ». Et c’est bien parce que sa fille défie tous ces codes de circulation, spatiaux et sociaux, que la famille et les rapports implosent.
La piscine reste le symbole éclatant de la réussite. Le maître de maison y prend son bain dès l’ouverture de CASA GRANDE, et elle est témoin de l’affrontement entre le père et le fils, lorsque la crise matérielle bouleverse l’équilibre familial. Dans UNE SECONDE MÈRE, la fille de Val y sème la zizanie lorsqu’elle s’y retrouve, au grand dam des propriétaires et de sa mère. Le cérémonial des repas aussi, avec service du personnel, et vaisselle convenable ou pas, comme lorsque « Madame » refuse que Val serve le café dans le service modeste que cette dernière a offert à sa patronne. L’argent manque à Val et sa fille pour s’installer dignement, et le fils de famille de CASA GRANDE est pointé du doigt et traité de radin, comme son père, lorsqu’il ne peut pas rembourser son ami. Les signes extérieurs de richesse sont de vrais catalyseurs sociaux, transformés en pivots narratifs. Intéressant qu’Anna Muylaert ait choisi, pour incarner son employée, enfermée elle-même dans un esclavagisme moderne, une vedette populaire brésilienne, une femme qui a réussi : Regina Casé.
Passionnant de voir le cinéma brésilien et ses auteurs s’emparer de la réalité actuelle nationale. Les deux cinéastes font preuve d’un sens aigu de l’observation du quotidien et des mutations sociales, tout en réussissant à en faire de la fiction. Les adolescents espèrent et les adultes doivent suivre. Les plus riches souffrent des aspirations par procuration de leurs parents, quand la fille de l’employée de maison d’UNE SECONDE MÈRE décide de dépasser les barrières et les dictats, concrètement, en étudiant, en s’accrochant, et en prenant ses repas à la table des maîtres. Dans CASA GRANDE, c’est le fils de riches qui brave les codes en allant coucher avec l’ex-bonne, dans sa favela. Le pays peut ainsi avancer, et le cinéma brésilien continuer à prendre son pouls.