Du refuge de la mort au refuge de la vie
Par France Hatron
Film français
Sortie en France : 27 janvier 2010
Réalisation : François Ozon
Scénario : François Ozon et Mathieu Hippeau
Interprétation : Isabelle Carré, Melvil Poupaud, Pierre Louis-Calixte, Louis-Ronan Choisy, Claire Vernet.
Le métro parisien avance à vive allure. En sort un homme qui sera identifié dans la scène suivante comme un dealer. Il va approvisionner un jeune couple en héroïne. Mousse (Isabelle Carré) et Louis (Melvil Poupaud) sont beaux, visiblement issus d’un milieu aisé, et semblent amoureux. Allongés sur leur lit, ils sont comme morts. Pas de violence entre eux, pas de cris, seulement des liens forts et du brouillard autour, parce qu’ils sont en manque de drogue. Le spectateur tente d’identifier ce qu’il manque à ces jeunes pour atteindre le bonheur.
Aussitôt payées, aussitôt les doses d’héroïne sont injectées. Louis se pique le bras. Mousse, elle, opte pour la cheville parce que ses bras ont trop servi ! Ils sont bleus et enflés. Aucune retenue dans l’horreur servie par Ozon. Ne nous voulant pas spectateurs mais acteurs, ils nous impose le même processus de souffrance qu’à ses victimes. Et ça fonctionne à merveille ! Parce que ses acteurs, tellement authentiques et charismatiques, rendent la scène d’autant plus réaliste. Le cinéaste n’utilise pas d’ellipses pour cette scène terrible, et pas non plus pour la seconde scène de drogue qui vient, sans nous laisser de répis, juste après la première. Cette fois-ci, Louis se pique dans le cou. Désarmés et écoeurés, nous sommes bien incapables d’émettre une quelconque opinion, ni de ressentir aucune émotion. Nous essayons juste d’échapper à cette intolérable cruauté. A partir de là, ce drame personnel devient une histoire tragique collective.
La mère de Louis, une grande bourgeoise sûre d’elle, qui doit être la propriétaire de l’appartement où est logé son fils, arrive à l’improviste le matin du drame, avec un locataire potentiel. Elle découvre la dépouille de son fils et le corps inanimé de Mousse, tombée dans un coma profond. Mousse est emmenée à l’hôpital et survit miraculeusement. Le médecin lui annonce alors qu’elle est enceinte de huit semaines.
Vient le jour des obsèques de Louis. Mousse entre dans l’église, pomponnée comme pour aller danser, le sourire aux lèvres. L’effet de la drogue lui permet probablement de prendre de la distance par rapport à l’événement. Toute l’assemblée est vêtue de noir, à l’exception de Mousse qui porte un somptueux manteau de fourrure claire. On peut ainsi l’imaginer issue d’une famille bourgeoise qui l’aurait écartée à cause de son addiction aux drogues ; ou la prendre pour une prostituée de luxe, tombée amoureuse de l’un des clients fortunés. Ozon ne veut pas que nous ayons une idée très précise de son milieu d’origine. En ce sens, le choix du prénom Mousse qui a une consonance douce, enfantine, animale et mystérieuse même, nous conforte dans l’idée que la jeune femme n’appartient à aucune caste sociale. Peu importe d’ailleurs, on la sait hors codes, en marge de la société, et cela suffit. Mousse semble être un pseudonyme qui ne lui appartiendrait qu’à elle, un peu comme l’était Marge, le prénom du personnage de Marie Laforêt, la petite amie de Delon, la muse du cinéaste René Clément dans Plein soleil.
Après les funérailles, durant la réunion familiale, Mousse se retrouve vraiment seule au milieu des convives qui semblent faire bloc contre elle. Personne ne vient la réconforter, ni même lui parler, comme si elle était coupable. Peut-être l’est-elle mais Ozon ne nous laisse rien savoir. Mousse perd un peu le contrôle de la situation mais pas totalement. Nous nous attendons à ce qu’elle crie, qu’elle p
leure ou même qu’elle rit, dans le salon, devant tous les invités, centrés sur eux même, ou qu’elle insulte sa belle-mère quand celle-ci lui déclare froidement : « nous ne tenons pas à avoir de descendance ! Nous pouvons vous arranger un rendez-vous avec notre médecin pour régler vite cette affaire.» Mais Mousse, pleine de charme et d’émotions contenues, résiste. Elle laisse croire à cette femme qu’elle respectera son souhait. Mais si le spectateur ignore si elle gardera son bébé, il sait en revanche que la décision n’appartient qu’à elle. Au moment où elle allait quitter les proches du défunt, Mousse est rejointe par le frère de Louis, Paul (Louis-Ronan Choisy) qui semble, lui, la respecter et peut-être même l’aimer beaucoup.
Quelques jours plus tard, Paul rejoint Mousse dans son refuge éloigné de Paris, une jolie maison au bord de la mer. Mousse y survit avec son traitement de substitution. Elle donne à Paul la raison pour laquelle elle a décidé de garder son bébé : « c’est parce que je suis curieuse. Je veux voir la couleur de ses yeux ! » Typiquement un dialogue d’Ozon : profond et cruel en même temps ! Cette remarque est d’autant plus intéressante et précieuse qu’Ozon nous avait accoutumés à plus de dialogues pertinents et sarcastiques dans ses œuvres précédentes.
Au début de leur cohabitation, Mousse se montre très désagréable avec Paul et met des barrières dans leur relation. Il porte beaucoup plus d’attention à sa maternité qu’elle ne le fait elle-même. Mais petit à petit, leur relation va évoluer. Est-elle en train de tomber amoureuse de Paul ou essaie-t-elle d’oublier Louis ? Ozon nous laisse le choix d’imaginer. N’importe comment, cette relation ne deviendra jamais une histoire d’amour car Paul est gay.
A l’origine, Ozon voulait raconter l’histoire d’une femme enceinte. Nous voyons bien sûr combien il est fasciné par cette grossesse, par la métamorphose du corps de Mousse, et combien il s’intéresse à la façon dont une femme enceinte peut réagir, bouger, gérer ses émotions et ses doutes, prendre de sages ou de mauvaises décisions. Mais l’histoire s’avère plus riche qu’elle n’en a l’air et présente une réelle dimension tragique. Le cinéaste accorde une importance toute particulière au pouvoir de séduction et à la sensualité de ses acteurs. De plus, la poésie et l’érotisme qui habitent chaque plan
ne peuvent non plus nous laisser imaginer qu’il s’agit d’un film exclusivement sur la maternité.
Isabelle Carré occupe l’écran avec ce mix de mystère, d’énergie, d’innocence, d’intelligence et de cruauté. Elle n’apparaît jamais comme une victime, mais plutôt comme une femme libre, presque intouchable. Ozon pose un merveilleux regard d’amour et d’admiration sur son héroïne qui montre une force intérieure impénétrable. Mousse nous fait penser à Catherine (Jeanne Moreau) dans Jules et Jim de François Truffaut. En particulier dans la scène nocturne où Paul joue du piano et chante une chanson bouleversante. Louis-Ronan Choisy l’a écrite lui-même. Nous sommes pris dans la même atmosphère et le même tourbillon d’émotions qui s’offraient à nous dans la scène où Catherine chantait « le tourbillon de la vie ».
En tant qu’acteur non professionnel, Louis-Ronan Choisy, très convaincant, occupe l’écran aussi. Il parvient à attirer l’attention, tant par sa beauté, sa sensibilité que par son jeu d’acteur juste et subtile qui montre toute sa fragilité et sa détermination.
François Ozon évoque tellement de refuges dans son film. Le premier étant la drogue pour Mousse et Louis, le second : le bébé que Mousse attend. Bien d’autres encore peuvent être perçus comme des refuges : la maison en bord de mer, éloignée de Paris, l’arrivée de Paul dans la vie de Mousse, la fuite de l’héroïne à la fin du film, Paul devenu un père de remplacement et par la même occasion un refuge pour le bébé. On peut imaginer que Mousse rejoindra un jour les deux êtres qu’elle aime, quand elle sera à même de se considérer comme mère…
Une happy end « à la française » plus qu’à l’américaine, pour un film bouleversant, traitant d’un sujet universel. Le refuge a reçu le Prix spécial du jury au 57ème festival du film de San Sebastian. Isabelle Carré aurait, elle, pu obtenir le coquillage d’Or de la meilleure actrice.
10 h 56 min le 14 janvier 2010
Après lecture, envie de deux choses:
> aller voir le film
> aller seule dans mon refuge en bordure de mer
bravo