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Par Olivier Pélisson Photo Only_Lovers_Left_Alive

 

Age : A partir de 12 ans

Sortie : 19 février 2014

Durée : 2h03

Un film britannico-germano-franco-chypriote

Genre : Road-movie amoureux

Réalisation :

Jim Jarmusch

Distribution :

Tilda Swinton, Tom Hiddleston, John Hurt, Mia Wasikowska, Anton Yelchin, Jeffrey Wright, Slimane Dazi…

 

Tel un ange gardien, la caméra tournoie en plongée sur un homme et sur une femme alanguis à plus de six mille kilomètres l’un de l’autre. Sur Adam et sur Eve. Sur Detroit et sur Tanger. Sur hier et sur demain. Adam et Eve sont vampires et vivent depuis des lustres. Adam et Eve sont amoureux et se secourent à distance. Ils survivent malgré les villes qui s’effondrent et le monde qui vacille. Ils voyagent en avion de nuit et ont modernisé leur approvisionnement sanguin, via des contacts en laboratoires. Mais le bon sang menace de manquer et les virus en tous genres veillent. Et les cadets gourmands attendent dans l’ombre, prêts à tout foutre en l’air (Ava/Mia Wasikowska).

RZ6A4304.JPGComment tenir ? En faisant de la musique, comme Adam. En profitant de la contemplation, comme Eve. Et en s’aimant. L’amour au-delà de la mort. C’est ce qu’incarnent, plus que tout, ces deux êtres voués à l’éternité et que leur complémentarité sauve de la perdition. Un très beau plan les associent tous deux, allongés, endormis, abandonnés. Deux silhouettes nues et graciles, à l’abri du reste du monde. Un moment fort chez Jim Jarmusch qui n’a pas si souvent filmé l’amour. Et surtout au présent. Car ses héros quasi toujours masculins sont de grands solitaires, et le plus entouré de femmes fait le tour de ses amours passées. C’est Don Johnston alias Bill Murray dans Broken Flowers.

De Permanent Vacation (1980) à Broken Flowers (2005) justement, le cinéaste n’a eu de cesse de filmer son pays et ses héritages. Mais depuis l’Espagne de The Limits of Control (2009), il prend le large. Detroit n’est que le fantôme des Etats-Unis, tout comme Tanger n’est que le fantôme du Maroc. Et les deux cités ne sont que les fantômes d’un monde voué à l’effacement. Jarmusch n’aime jamais tant les lieux que quand ils sont démarqués, tout comme ses personnages sont désaxés. Sortir du centre, aller voir dans la marge ce qu’il y a et s’il y est, reste son crédo.

RZ6A4230.JPGCe qu’il trouve dans Only lovers left alive, c’est la beauté et la douceur. A mi-chemin entre l’atemporalité et le dépassé, Eve et Adam incarnent un ilot, un espoir. Celui de l’humanité toute entière réunie dans leurs longs corps arpentant les ruelles tangéroises, jusqu’à trouver leur salut face à un couple de jeunes amoureux. Un duo évanescent et anesthésié qui prend corps aussi grâce à l’image dense et comme ouatée de Yorick Le Saux, qui filme si bien la mer et la peau chez François Ozon, et Tilda Swinton déjà dans Amore de Luca Guadignino. "only lovers left alive"

 

Tilda Swinton glisse sa grâce sans âge entre deux partitions grimées dans Snowpiercer et The Grand Budapest Hotel, et Tom Hiddleston laisse tomber les ténèbres à grand spectacle d’Avengers et Thor. Tous deux unissant leurs crinières et leur teint britannique diaphane pour se faire un bon shoot sanguin et esthétique devant l’objectif du cowboy new-yorkais. La musique enfin, les accords lyriques et anesthésiés de Jozef Can Wissem et du groupe de Jarmusch, Sqürl. Des mélodies qui chantent le désenchantement et le « désaccordement », et qui pourtant nourrissent de sensualité les déambulations de Tom et Tilda au pays de Jim. Le film avait visiblement laissé les salles de marbre au dernier Festival de Cannes. Il réchauffera celles de cet hiver, par sa croyance en les espaces et les sentiments.

Le 10 février à 20h, s’ouvrait le bal annuel de la Critique sous la houlette d’Isabelle Danel, la nouvelle Présidente du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des films de Télévision. La cérémonie s’est tenue pour la première fois à la Cinémathèque.

PRIX CINEMA

 Meilleur film français Affiche La vie d'Adèle
Ce prix est décerné depuis 1946 à l’issue du vote des membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.

LA VIE D’ADÈLE CHAPITRES 1 & 2

d’Abdellatif Kechiche

 

 

 

 

 

 

 

 Meilleur film étranger
Ce prix est décerné depuis 1967 à l’issue du vote des membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
A TOUCH OF SIN de Jia Zhang-Ke

 Meilleur premier long métrage français
Ce prix, créé en 2000, est issu du vote des membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
LES GARÇONS ET GUILLAUME, À TABLE ! de Guillaume Gallienne

 Film singulier francophone
Ce prix, créé en 2008, a pour objectif de récompenser un film en co-production et en langue française, dont les critiques tiennent à souligner le travail « singulier ».
MON ÂME PAR TOI GUÉRIE de François Dupeyron

 Meilleur court métrage français
Ce prix, créé en 1973, est décerné par un jury renouvelable composé de membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.
IL EST DES NÔTRES de Jean-Christophe Meurisse

Le film sera projeté au cinéma Le Balzac à Paris du 8 février au 2 mars, le 12 février au Festival Les Premiers Pas à Aix en Provence, le 15 mars au cinéma de Vanves, le 22 mars au Théâtre du Grand Marché à La Réunion et fin mai à l’Eldorado à Dijon.

 

PRIX TELEVISION

Ces prix, créés en 2005, sont décernés par un jury renouvelable composé de membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma et des Films de Télévision.

 Meilleure fiction de télévision

LE GRAND GEORGES de François Marthouret (diffusion France 3)  Photo Le grand Georges

 

 

 

 

 

 

 

 

 Meilleur documentaire de télévision

IL EST MINUIT, PARIS S’ÉVEILLE de Yves Jeuland (Arte)

 Meilleure série françaisePhoto Les revenants

LES REVENANTS

de Fabrice Gobert

et Frédéric Mermoud

(Diffusion Canal +) 

 

 

 

 

PRIX DVD/BLU-R

Ces prix, créés en 2005, sont décernés par un jury renouvelable composé de membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.

 Prix Curiosité

Nouveau Prix Dvd/Blu-ray du palmarès 2013, celui de la Curiosité, destiné à mettre en valeur le travail exigeant d’un éditeur (qualité du transfert du film, intérêt des suppléments) sur un film rare, étrange, spécial, qui tout en étant de grande qualité sort des sentiers battus de la cinéphilie classique.
LOVE EXPOSURE de Sono Sion – Metropolitan Filmexport / HK Vidéo

 Meilleur DVD/Blu-ray récent

BLANCANIEVES de Pablo Berger - francetv distribution / Rezo Films

 Meilleur Coffret DVD/Blu-ray

ERIC ROHMER – agnès b. DVD / Potemkine Films

Coffret Eric Rohmer

 Meilleur DVD/Blu-ray Patrimoine

FANNY ET ALEXANDRE de Ingmar Bergman – Éditions Gaumont

 

PRIX LITTERAIRES

Ces prix, créés en 1978, sont décernés par un jury renouvelable composé de membres du Syndicat Français de la Critique de Cinéma.

 Meilleur livre français sur le cinémaPhoto livre Michel Legrand
RIEN N’EST GRAVE DANS LES AIGUS de Michel Legrand
en collaboration avec Stéphane Lerouge – Éditions du Cherche-Midi

 Meilleur livre étranger sur le cinéma
I AM SPARTACUS de Kirk Douglas
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Mathilde Burdeau – Éditions Capricci

 Meilleur album sur le cinéma
BERNADETTE LAFONT, UNE VIE DE CINÉMA

de Bernard Bastide
Éditions Atelier Baie

 

 

 

Par France Hatron Affiche-L-absence

Age : A partir de 15 ans

Sortie : 22 janvier 2014 

Durée : 1h21

Un film français, guinéen, sénégalais

Genre : Drame 

Réalisateur : Mama Keïta

Distribution : William Nadylan, Mame Indoumbe Diop, Ibrahima Mbaye, Mouss Diouf, Omar Seck, Jacky Tavernier, Ismael Thiam…

 

Un taxi jaune dépose un jeune Sénégalais distingué dans une rue de Dakar. Il franchit la porte d’une maison et découvre, à même le sol du jardin, une femme enfilant des perles. Il s’agit de sa grand-mère, émue de le revoir. Elle lui présente sa sœur Aïcha, une jolie jeune femme muette et sauvage.

Puis, Adama rend visite à un  vieil ami, dans sa boutique de caméras vidéos. Ce dernier reproche au déserteur de ne pas lui avoir donné signe de vie pendant toutes ces années. Photo L'Absence

Contre toute attente, l’enfant prodige n’est pas rentré pour toujours, il compte repartir dès le lendemain. Sa sœur et sa grand-mère reçoivent très mal la nouvelle. Adama n’avait déjà pas tenu sa promesse de rentrer au pays à la fin de ses études et aujourd’hui encore, il les déçoit. La vielle femme soupçonne son petit-fils de repartir en France pour une femme. Adama lui confie alors avoir divorcé deux ans plus tôt.

Le jeune homme rend ensuite visite à l’un de ses anciens professeurs qui lui en veut, lui aussi, d’avoir étudié à l’étranger aux frais de son pays.

Mouss et AïchaLors d’une promenade nocturne avec son ami Djibril, Adama croise sa sœur Aïcha, devenue prostituée, sous la coupe d’un proxénète connu et craint par la ville entière. Abasourdi, le jeune homme retrouve le proxénète dans la soirée et le tabasse avant de violenter sa soeur aussi. Le souteneur met alors à prix la tête d’Aïcha. Commence alors une course poursuite infernale entre Adama et le proxénète qui, lui-même, course Aïcha.

Comme son personnage principal, Mama Keïta est d’origine africaine et a étudié ailleurs. Il dresse un état des lieux critique de l’Afrique et nous donne en même temps des clés pour comprendre et analyser sa dérive. L’Afrique se saigne pour envoyer ses élites étudier à l’étranger et n’a finalement pas de retour sur « investissement ». L’ancien professeur d’Adama le lui fait comprendre avec des mots blessants : « ce diplôme que vous possédez n’est pas seulement le fruit de votre géni. Nous sommes des millions à en être propriétaire ». Mais pour le déserteur, le devoir est un sacrifice auquel il n’est pas prêt : « je suis scientifique. Vous m’appelez au sacrifice ».

Photo L'absence Le film pose la question de la responsabilité individuelle ou collective. Par son absence, Adama est-il responsable de la déchéance de sa sœur ? La piteuse image qu’elle lui renvoie est celle d’un pays natal perdu lui rappelant que l’Afrique, c’est aussi et surtout : la violence, la drogue, la précarité, la soumission de la femme et la perte de soi. Et pas seulement à cause du sous-développement. Mama Keita va plus loin en pointant du doigt la fuite des cerveaux. Pour lui, l’esclavage n’est finalement pas si loin. Grand-mère

William Nadylan interprète avec beaucoup de délicatesse et de profondeur son personnage d’Adama qu’il rend ainsi très digne. A ses côtés, Mouss Diouf en proxénète sans foi ni loi, lui arrive à la bonne hauteur. Le scénario, quant à lui, pèche au niveau de la psychologie des personnages secondaires dont on peine à retrouver le lien entre le passé et le présent. Mais le propos du film – plaidoyer pour la liberté d’étudier chez soi – à lui seul, appelle à la révérence.

 

Par France Hatron Affiche du film

 

Age : A partir de 15 ans

Sortie : Le 15 janvier 2014

Durée : 1h40

Un film turc

Genre : Drame

Réalisation  :

Erhan Kozan

Distribution :

Miray Akay, Tunç Oral, Melisa Celayir, 

Melis Kara

 

1998. Comme toutes les jeunes filles du petit village d’Alkincilar, situé à la frontière de la partie turque et Grecque de l’îlle de Chypre, les deux charmantes enfants kurdes, Reyhan et Huriye, vivent dans la hantise de voir arriver leurs premières règles. Quand ce jour viendra, elles se savent déjà promises et mariées de force à un membre de leur famille. Car ce type de marriage est la règle dans cette communauté kurde de Turquie.

 

L’histoire de ces deux fillettes condamnées par le simple fait d’être nées « fille » est inspirée de faits réels. Le réalisateur nous le rappelle : “14 % des femmes mariées en Turquie ont entre 10 et 14 ans”. Huriye est la moins chanceuse des deux amies puisque l’heure fatidique de ses premières règles sonne l’année de ses 13 ans. Elle n’en dit mot à sa mère et se confie seulement à sa meilleure amie Reyhan. « Halam Geldi ! » lui dit-elle, ce qui signifie « Ma tante arrive ! » C’est le nom de code utilisé entre les deux amies pour parler de leurs règles. Cette phrase prend tout son sens lorsqu’on découvre que Huriye va devoir épouser un fils de sa tante : un garçon gras et laid, à l’air benêt.

Halam Geldi les enfants

Reyhan sera également mariée de force, mais, elle, avant même d’être réglée ! Son côté un peu rebelle et son amitié profonde pour le beau et gentil Halil – un garçon de son âge, né et élevé à Istanbul par des parents très aimants et un père non machiste – a rendu dingue son propre père. Il l’a faite déclarer “déficiente mentale” par son médecin. Puis, grâce au précieux certificat tamponné, il n’a eu aucun mal à la déscolariser et à la marier. L’affaire fut classée sans suite.

Sur le point d’épouser l’horrible inconnu de sa famille qui lui est destiné, la petite, dans un élan de désespoir, supplie sa mère de raisonner son père : «  Maman, ne te tais pas ! Qui d’autre que toi peut m’aider ? » Elle est très lucide quant à la responsabilité des femmes dans leur abominable destin à toutes. Le film prend là toute son intensité dramatique et sa dimension politique. Dans cette micro société machiste où les hommes règnent en maîtres tout puissants, rares sont les épouses qui se révoltent. Et celles qui osent le faire signent leur arrêt de mort. Ces hommes qui font leur prière avant de violer des enfants n’ont pas plus de scrupules à tuer leurs femmes, leurs filles et les enfants des autres.

Photo HALAM GELDIForcées de respecter la tradition, les femmes entretiennent la loi du silence, sur plusieurs générations, autour de ces crimes sexuels perpétrés par les maris, les pères, les oncles, les neveux… Ces unions consanguines forcées engendrent des enfants handicapés ou atteints de maladies incurables. Quand ils se savent condamnés à cause de leurs parents, ces enfants ne sont pas prêts à leur pardonner, ni même à entendre leur demande de pardon.

Le film dépeint très bien le climat de tension qui s’amplifie au fur et à mesure où les fillettes grandissent. Dans les premières images, la vie semble plutôt paisible. Les hommes ne font pas grand chose à part traîner, entre eux, au café. Les mères, elles, veillent sur leurs enfants, toujours à distance de leurs maris. Quant aux fillettes en uniforme, elles vivent à un rythme plus soutenu, entre l’école, les frères et soeurs, leurs petits secrets, leurs angoisses. Puis, la dramaturgie de l’histoire s’installe crescendo, atteignant son paroxysme dans la tragédie. Erhan Kozan n’y va pas de main morte avec les artifices mélo dramatiques qui s’enchainent. La musique tient un role proéminent. Les personnages secondaires surjouent. Mais on comprend l’intention du cineaste Erhan Kozan de nous faire éprouver à la fois la peine, la peur, la culpabilité, l’impuissance, le dégoût et même la honte.

Au delà de l’histoire bouleversante de cette minorité kurde qu’il raconte avec beaucoup d’empathie et quelques maladresses au niveau narratif en début de scénario, le réalisateur signe un vrai plaidoyer contre les crimes sexuels, faisant de ce combat une cause universelle à défendre haut et fort.

Une révérence toute particulière s’impose pour les deux jeunes comédiennes Miray Akay et Melisa Celayir, imprégnées de leur personnage jusque dans leur chair. Ce film très fort dérange et bouleverse jusqu’à rendre presque malade. Mais trouvera-t-il un public dans notre pays ? C’est une autre histoire…

 

Par France Hatron Le géant égoïste

A partir de 12 ans

Sortie : Le 18 décembre 2013

Durée : 1h31

Un film anglais

Genre : Drame

Réalisation et scénario :

Clio Barnard

Distribution :

Conner Chapman, Shaun Thomas, Sean Gilder, Siobhan Finneran, Steve Evets, Rebecca Manley…

 

Arbor et Swifty sont deux ados inséparables de 13 ans. Vu ses crises de colère et sa nervosité, on peut qualifier Arbor d’enfant hyper actif qui semble dépendre de ses médicaments. Les deux copains habitent le quartier populaire de Bradford au Nord du Royaume Uni. Mêlés à une dispute magistrale dans la cour de leur lycée, ils sont tous deux renvoyés définitivement. Arbor s’en réjouit car l’école, ce n’était pas son truc. Swifty, lui, paraît plus affecté par la situation, d’autant que sa mère digère mal la nouvelle ! Dans cette petite bourgade sinistre, désindustrialisée et sans avenir, que faire de ses journées pour tuer le temps à part gagner de quoi payer les factures impayées de ses parents ? Arbor et Swifty commencent à voler des objets sans valeur pour les revendre. Un jour, ils croisent la route de Kitten, le Géant Egoïste qui les empêche de jouer dans son jardin. Kitten est un ferrailleur établi près de chez eux. Il organise aussi des courses de chevaux clandestines sur routes. Alors que les gamins commencent à récupérer des métaux usagés pour son compte, Kitten remarque très vite l’affection que porte Swifty à ses chevaux. Il le trouve en plus particulièrement doué pour les diriger. Arbor qui a une sensibilité à fleur de peau et un immense besoin d’être aimé ne supporte pas les préférences de Kitten pour son ami. Il va donc se surpasser pour rapporter toujours plus de métaux, jusqu’à mettre sa vie en danger.

Le Géant Egoïste 1Pour son premier long métrage de fiction, la réalisatrice Clio Barnard a choisi d’adapter librement le conte d’Oscar Wilde qui a donné son nom au film Le Géant Egoïste. Elle s’est inspirée de son enfance et de son adolescence passées près de Bradfort. Alors témoin du rejet de certains enfants au sein même de leur communauté défavorisée et marginalisée, elle s’ est aussi aperçu que si la majorité des chantiers de ferraille étaient régis selon des règles bien précises censées réduire les vols de métaux, certains chantiers plus modestes étaient corrompus par leurs propriétaires vénaux sans scrupules. Ses plans fixes qui s’éternisent sur les poteaux électriques, posés là en pleine campagne, dévoilent des apparences tranquilles qui occultent la douleur et la haine des habitants, pour beaucoup victimes du chômage et du système « D ». A Bradford, pas de journée sans violence physique ni verbale. Pas d’amour non plus.

L’aspect documentaire de ce film, son côté sombre et sa manière d’appréhender les personnages avec une empathie réservée le rapprochent des oeuvres de Ken Loach. La petite touche en plus ? Les cultures marginales, sujet cher à Clio Barnard. Le Geant Egoïste 2

Ses deux ados en danger percent l’écran. Armés de courage et d’obstination, ils laissent croire qu’à cet âge là, la part d’innocence et d’insouciance tiennent suffisamment de place pour pouvoir avancer sans peurs. Jusqu’à ce que la mort surprenne. Et là, survivre n’a plus de sens… Ce film nous prend aux tripes et nous bouleverse en douceur et en profondeur, sur fond de bruit de métal et de galop endiablé.

Le Géant Egoïste a été sélectionné à La Quinzaine des Réalisateurs au Festival de Cannes 2013 où il a remporté le Prix Europa Cinémas.

 

 

Par France Hatron Affiche du film A Touch of sin

Age : A partir de 13 ans

Sortie : Le 11 décembre 2013

Durée : 2h10

Un film chinois japonais

Genre : Drame

Réalisation :

Jia Zhang-Ke

Distribution : Wu Jiang, Wang Baoqiang, Zhao Tao, Luo Lanshan, Jiayi Zhang, Meng Li…

Quatre personnages évoluent dans quatre provinces de la Chine contemporaine où l’on parle des dialectes différents.  Leurs destins ne se croisent pas mais leur histoire a ce point commun de dévoiler une Chine en pleine mutation, qui souffre d’un développement économique galopant et de mouvements de migration interne colossaux, laissant pour compte, sur le bord de la route, des citoyens désespérés, en soif de justice et d’égalité. Leur arme fatale pour survivre ? La violence… Ces histoires sordides sont inspirées de faits divers chinois qui décryptent quatre mécaniques de la violence pouvant pousser à bout : la pression sociale, le déni de soi, la perte de contrôle soudaine, le désir de mourir.

A touch of sinDahai, un mineur exaspéré par la corruption des dirigeants de son village et le silence de leurs acolytes complices, décide de se faire justice lui-même. San’er, un travailleur migrant, découvre les « vertus » de son arme à feu qu’il actionne à tout va comme un jouet. Xiao Yu, elle, est hôtesse d’accueil dans un sauna. Harcelée sexuellement par un client aisé, elle commet l’irréparable. Quant à  Xiao Hui, il accepte des postes dégradants et subit des humiliations à répétition. La plus terrible sera certainement celle de sa mère, vivant à ses crochets, qui lui reproche de ne pas lui donner assez d’argent ! Pauvre enfant…

Quelle noirceur dans ces quatre tableaux de la Chine d’aujourd’hui d’où se dégage toute la rage de la frustration et du désespoir de la nouvelle génération qui doit se construire dans une culture contre identitaire.  La violence, souvent gratuite, est le personnage principal de ce film porté par des acteurs sensationnels, pour beaucoup d’entre eux non professionnels.

A touch of sin

A touch of sin offre une mise en scène et une réalisation inventives sans failles. La révolte se ressent non seulement dans les personnages mais aussi dans leur environnement : les paysages de montagne comme ceux de la ville moderne dégagent l’austérité, la pauvreté, la peur et la folie. Rien à redire sur la description du climat ambiant dans lequel les chinois ont du mal à s’imaginer un avenir. Un bémol « osé » cependant quant au scénario, puisque le film a reçu, cette année, à Cannes, l’honorable Prix du scénario ! Dommage qu’une trame commune ne vienne lier les quatre opus de cette oeuvre forte avec une dramaturgie ou un épilogue communs. On s’attache aux personnages quand ils vont quitter l’écran. On les cherche dans l’histoire suivante alors qu’ils ont bel et bien disparu. On rentre dans la vie de leurs successeurs avant de devoir s’en défaire aussi, trop vite. Mais l’exercice permettrait-il de mieux saisir le mal être de bien des chinois, la nécessité qu’ils ont de devoir changer sans cesse de travail, de village, leur désir de vengeance, leur soif d’argent. Ils ont reçu en héritage la notion de collectivisme tout comme le manque de conscience individuelle. Il leur faut ensuite composer avec ça. Pas facile de donner du sens au futur quand on a l’âme en peine, meurtrie par un passé sale. En témoignent ces héros de la violence.

 

 

 

Affiche du film

Par Olivier Pélisson

 

 

 

 

 

 

 

 

Sortie :

27 novembre 2013

Durée : 1h43

Un film français

Genre : Documentaire

 

Réalisation : Olivier Peyon

Scénario : Olivier Peyon et Amandine Escoffier

Distribution : Cédric Villani, François Sauvageot, Anne Siety, Jean Dhombres, Jean-Pierre Bourguignon, Jim Simons, Eitan Grispun, Robert Bryant, George Papanicolaou…

 

Consacrer un documentaire aux mathématiques, il fallait y penser. D’autant plus lorsqu’on n’est ni un pro, ni une éminence. C’est le cas d’Olivier Peyon, réalisateur remarqué dans le portrait fictionnel (Les Petites vacances) et documentaire (Elisabeth Badinter, à contre-courant ; Michel Onfray, philosophe citoyen).

Pour Comment j’ai détesté les maths, il mélange les visages et les paroles, et compose un puzzle impressionniste. Avec une galerie d’initiés et de professionnels de cette discipline millénaire. Une science, une pensée, et même un regard sur le monde. Car ce que nous montre ce film pendant une heure quarante, c’est que les maths naissent avant tout du désir des hommes et agissent sur leur existence concrète. Tout le monde s’en sert chaque jour, ou a recours à un système ou une technologie élaborée sur des données mathématiques. Rien à voir avec les épineux problèmes sur lesquels des tripotées d’élèves ont buté et se sont arraché les cheveux, pour se dire plus tard « ça ne sert à rien ! ».

Comment j'ai détesté les mathsPlus encore, les maths ont fini par diriger le monde. Notre planète, régie par les marchés financiers et la mondialisation, dépend des agissements de quelques uns, dont l’impact économique sévit en métronome universel. Effrayant, comme en témoigne la seconde partie du documentaire, sur les pas notamment d’un apparent bienfaiteur millionnaire américain (Jim Simons), dont les formules savantes se sont transformées en roulette russe pour les banques et traders.

Cette mécanique programmée est heureusement contrebalancée par des trublions humanistes, chercheurs, enseignants, qui mettent en doute en permanence les assertions et traquent l’indéchiffré, le terrain vierge, la faille, l’espoir de la découverte. A commencer par notre champion national Cédric Villani, dont l’excentricité atemporelle révèle avant tout la quête d’un homme curieux et joueur avec son art. Beaucoup manient l’humour et insufflent de l’énergie oxygénée à l’exercice de la pensée. Tel le jovial prof nantais François Sauvageot accompagnant ses élèves au bord de l’Atlantique. Comment j'ai détesté les maths 3

Dans le même esprit, Olivier Peyon use savamment de la grammaire cinématographique et formelle pour dynamiser son film. Format scope, montage cut et fluide, bande-son jazzy. La caméra explore les visages, les regards, les gestes, les grains de peau de tous ses intervenants qui dépassent finalement le cliché du « matheux » pour révéler leur vérité. Celles d’hommes et de femmes qui observent le monde et le questionnent, tout en se mettant en danger. Comme ce professeur grec émigré aux Etats-Unis (George Papanicolaou), dont l’émotion lié à la situation dans son pays déborde soudainement le cadre de l’interview.

Comment j'ai détesté les maths 2

Le cinéaste ouvre aussi la pensée, par essence intérieure, aux espaces géographiques. Il traverse les frontières et les océans (France, Allemagne, Italie, Etats-Unis, Inde), filme la forêt, la plage, la rue fourmillante. La réalité quotidienne et palpable nourrit la réflexion et le témoignage dans un même élan de transmission.

Ces confessions d’enfants du siècle forment une porte d’entrée idéale au quidam pour se re-familiariser avec le questionnement mathématique resté enfoui. Et pour se confronter soi-même à son rapport au monde et à sa capacité à l’insurrection bienfaitrice. Comme quoi, la détestation a parfois du bon !

Par Olivier Pélisson Affiche du film

 

Age : à partir de 12 ans

Sortie : 18 septembre 2013

Durée : 1h53

Un film français

Genre :

Road-movie existenciel

Réalisation : 

Emmanuelle Bercot 

Distribution :

Catherine Deneuve, Nemo Schiffman, Gérard Garouste, Camille…

Catherine Deneuve

Elle prend l’air au bord de l’océan. Elle marche dans le sable. On entend ses pas. De dos, ses cheveux renvoient la lumière du soleil. Elle, c’est Bettie, la soixantaine, veuve, une mère, une fille et un petit-fils qu’elle voit peu, et un amant marié. A la mort de son mari étouffé avec un os de poulet, elle s’est retrouvée seule avec maman à la tête de l’auberge familiale, une bonne table bretonne.

Comme une petite fille, elle a peur du noir. Comme une petite fille, elle vit avec sa mère et traverse sa chambre pour aller à la salle de bain. Comme une petite fille, elle se remet à fumer en cachette. Comme une petite fille, elle raconte des histoires et s’invente une mère en maison de retraite dans la Sarthe. Comme une jeune fille, « elle est bonne à marier ». Comme une grande, elle souffre d’apprendre que son amant s’est barré avec une jeune « pétasse » enceinte. Comme une grande, elle va prendre la tangente. Faire une fugue. Comme ça, sur un coup de tête, alors qu’elle quitte ses cuisines en plein feu sur un « Je reviens ». Elle a besoin d’un paquet de clopes, c’est dimanche et tout est fermé. Commence alors un voyage inédit, avec son break Mercedes, de Bretagne à Annecy, de Concarneau à Blagnac, de Château-Gontier à une bourgade de l’Ain.

Bettie avance. Elle dépasse ses peurs. Elle s’autorise enfin à partir pour l’aventure. A vivre au présent ce qui se présente à elle. Et ce qu’elle veut bien laisser venir. Alors elle roule et avale les kilomètres. Une drôle de dame avec son Charly de petit-fils. Elle croise des vaches, des footballeurs, des copines de dancing, des Miss 1969, des lapins en fuite, des tarés dans une cafét’, un vigile et son clébard, jusqu’à un jeune grand-père en campagne.

elle s'en va

Physique, énergique, sensorielle, sensuelle, elle profite de la vie. Elle sirote un « digeo », sniffe le parfum du tabac, mâchouille un brin d’herbe, course son petit-fils, tombe dans les vapes, file une gifle à Charly, se prend une cuite à la « caïpi », enfile une perruque fluo, dort en tee-shirt « Pas touche » et finit au lit avec un jeunot qui la traite de « gourmande ».

Bettie, c’est Catherine Deneuve. Plus de cent films au compteur, 50 ans au top depuis Les Parapluies de Cherbourg, les plus grands cinéastes et partenaires en stock, et toujours autant d’appétit cinématographique. Aventureuse, cette actrice au parcours unique le reste. De Drôle d’endroit pour une rencontre de François Dupeyron au Vent de la nuit de Philippe Garrel, de Généalogies d’un crime de Raoul Ruiz à Dancer in the Dark de Lars Von Trier, de Je veux voir de Joana Hadjithomas & Khalil Joreige à Potiche de François Ozon, elle joue avec grâce et audace la fêlure, la rupture, le silence, le loufoque, l’imprévu, l’inconnu. Une interprète libre. C’est ce qu’elle est devenue à force d’ouverture et de curiosité.

Pour la filmer, Emmanuelle Bercot a franchi le cap de la jeunesse dont elle saisit l’aplomb et les tâtonnements depuis ses débuts (Les Vacances, La Puce, Clément, Backstage). « J’ai vraiment écrit Elle s’en va pour elle, et Catherine a été mon monteur absolu tout au long de l’aventure de ce film ». Elle suit Deneuve comme son ombre, tels les Dardenne avec Emilie Dequenne (Rosetta) ou Olivier Gourmet (Le Fils). De face, de trois quarts, de dos, en plan large, en gros plan, son héroïne habite toutes les scènes et donne son pouls au film. Et la cinéaste assiste son actrice dans ce road-movie lumineux.

Catherine Deneuve

Rares sont les films qui font autant corps avec leur interprète. Emmanuelle Bercot tisse avec finesse une toile où son personnage se déplace dans la géographie d’un pays, tout en bousculant les cases de son paysage intérieur. Un pari casse-gueule de film éclaté mais tenu par un fil rouge : l’avancée de Betty. Les nombreuses pauses font surgir des moments flirtant avec le documentaire, comme lorsque l’héroïne en manque de tabac se fait rouler une cigarette par un vieux paysan aux mains gonflées. Une maison de village, une cuisine, une toile cirée, le temps arrêté et une parenthèse presque irréelle où Deneuve s’assoupit en attente de sa clope…

 

Réalisme brut et douce rêverie, drôlerie décapante et éclats bouleversants, le film en est farci. Un voyage passionnant au pays du cinéma, de sa mémoire, de sa vitalité et de ses pouvoirs évocateurs. Qui se finit sur le rire, le plaisir et sur la vie qui jaillit.

Par France Hatron

Sortie : 17 juillet 2013

Durée : 1h55

Genre : Thriller dramatique

Réalisation : Sean Ellis

Interprétation : Jake Macapagal, Althea Vega, John Arcilla…

Il ne fait pas bon vivre au bord des rizières, dans les montagnes du nord des Philippines. La vue panoramique est paradisiaque mais les récoltes de riz ne permettent plus à Oscar Ramirez et à sa famille de survivre. Cap sur Manille, rêve américain en tête, pour tenter de trouver du travail. Oscar se rend dès son arrivée dans une agence pour l’emploi où il est intercepté par un intermédiaire qui lui propose un logement sur le champ. C’est louche ! Le père de famille se déleste de toutes ses économies pour occuper un trou à rats. Mais la police locale se charge dans la foulée d’expulser les Ramirez pour les remplacer par une autre famille au motif qu’il s’agit d’un logement d’état ! La famille désespérée rejoint les bidonvilles. Il y a vraiment urgence à trouver un job car la fillette d’Oscar a une rage de dent. Oscar commence un emploi de manutentionnaire. En guise de salaire, il se verra offrir des sandwichs dans un sac en plastique. Ses illusions s’envolent.

 

metro manila mère 2De son côté, Mai se présente à un entretien dans un bar. Bien qu’enceinte avec deux enfants à charge, comme elle est très belle et pourvue d’une poitrine opulente, on se doute bien que Charlie la tenancière ne lui propose pas de faire le ménage ! Elle lui gardera même ses enfants pendant ses heures de travail ! Quand on aime, on ne compte pas : Charlie ira jusqu’à lui demander de lancer sa fille de 9 ans dans la profession !

Manille, cité impitoyable… adage démontré à chaque plan à la manière d’un documentaire qui veut raconter sans racoler ni émouvoir. Nous sommes aussi naïfs qu’Oscar pour le croire enfin tiré d’affaires lorsqu’il se voit proposer un poste de convoyeur de fonds dans la banlieue la plus dangereuse de la capitale. Pris dans l’engrenage de la violence, il ne peut plus reculer. C’était un homme droit, loyal, pacifique et aimant mais la réalité macabre de la pauvreté et de la corruption l’ont rattrapé et mis au pli, tout comme sa femme. Triste réalité : le déterminisme social officie en douce, rongeant les philippins sur des générations.

metro manila enfant

On a compris les intentions de l’auteur, louables : partir d’un cas particulier pour pointer du doigt la misère et la corruption dans un pays surpeuplé où l’on ne peut survivre qu’en édifiant sa propre loi, en devenant méchant quand on est né gentil. Mais le scénario décousu n’est pas à la hauteur des intentions, ni de la réalisation, ni de l’interprétation. Sean Ellis semble avoir imaginé plusieurs scénarios indépendants qu’il a associés sans vraiment les lier. Le montage saccadé n’a pas aidé à fluidifier le déroulé du scénario. De même, la psychologie du personnage de Mai n’est pas développée et la trame de sa triste histoire avance à petits pas sans trouver sa place aux côtés de l’intrigue principale des convoyeurs de fond.

metro manila pèrePourtant, grâce à quelques artifices efficaces, Sean Ellis sait faire monter l’intensité dramatique pour redonner du souffle à son scénario qui parfois s’épuise. Certaines scènes du prologue surprennent et déroutent même par leur originalité qui tient beaucoup plus de la mise en scène et de l’image travaillée avec brio que des rebondissements souvent attendus. Les comédiens, bien dirigés et inspirés par le contexte social ambiant – puisque ce sont des acteurs locaux – donnent le meilleur d’eux-même. Leurs dialogues eurent mérité plus de recherche et de profondeur. Dommage car on a forcément des choses à dire quand on sait qu’une vie entière ne suffira pas pour gagner sa liberté.

 

Par France Hatron

Photo S2Sugar Man, qui a obtenu l’Oscar du meilleur documentaire, nous l’avait révélé, dévoilé, décrypté. On peut désormais raisonnablement penser, après avoir encouragé Sixto Rogriguez sur scène, que Sugar Man de Malik Bendjelloul l’a aussi précipité dans la fosse aux ours du Zénith, le 4 juin dernier.

 

Sixto, tu n’étais pas destiné à sortir de l’ombre à 71 ans. Tu aurais dû rester un héros très discret. Tes admirateurs l’ont bien compris. Ils ne t’ont pas hué sur ta scène trop grande pour toi lorsque ta guitare t’échappait. Ils ont préféré se cacher derrière leur bière pour rire nerveusement lorsque ta voix déraillait. Ils avaient les larmes aux yeux quand tu buvais ton vin en tremblant sous leur nez. Ils auraient voulu t’écouter toute la nuit et pourtant ils avaient hâte que tu rentres te coucher. S’ils avaient pu, ils t’auraient bordé pour toujours. Tristes, comme toi, beaucoup se sentaient aussi coupables d’être là, parce que leur place, tout comme la tienne, n’était pas là ce soir-là.

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Comme les grands fragiles de ce monde, tu dois avoir beaucoup d’humour et soyons sûrs que tu sourirais d’entendre que nous avons préféré ton documentaire à ton concert ! Mais nous ne regrettons rien. Grâce à toi, nous avons compris que le talent et la gloire n’avaient rien à voir, que ton parcours unique faisait de toi ce personnage unique qui n’a jamais rien eu à prouver. Et surtout pas qu’il avait du talent.

Sixto, tu es né Rodriguez et, loin des pseudos racoleurs en tous genres, tu es resté un Rodriguez. Avec ton sourire au charme discret et ta moue mi sensuelle mi tragique, tu séduis à la légère et tu irradies sans le savoir, à la mexicaine peut-être puisque tes racines sont là-bas.

Photo S4Né en 1942, à Détroit dans le Michigan, tu as fait des études comme beaucoup d’entre nous, tu as grandi la musique au ventre, comme quelques-uns d’entre nous, mais ta voix sublime et ton talent auraient dû te démarquer pour toujours, comme personne. Au début des années 70, tu as écrit toi-même tes deux sublimes albums de folk qui t’ont hissé au rang de diva en Afrique du Sud sous le régime de l’Apartheid. Tes disques se sont vendus autant que ceux des Beatles et tu ne l’as pas su. Courageux, libre et digne, pendant ces longues décennies, tu as poursuivi humblement ton métier de maçon et vécu comme si public tu n’avais jamais eu et gloire jamais connu. Durant toutes ces années à façonner les maisons des autres, tu n’imaginais pas que tu façonnais en même temps ton image et qu’un jour tes enfants te verraient faire le tour du monde sous les sunlights et qu’ils t’admireraient autant que nous.

Sixto, cette vie rêvée, elle est arrivée trop tard et t’a fait boire la tasse. Elle t’a dépassé et emporté au passage, comme la vague. Parce qu’elle ne devait pas correspondre à ta vision du bonheur : « le succès est d’avoir ce que vous voulez, mais le bonheur est d’accepter ce que vous avez. » Nous, nous t’aimons pour ce que tu es, pour tout ce que tu n’as pas fait comme les autres et parce que tu n’en veux à personne d’avoir été laissé pour mort si longtemps.