Affiche du film
Par Olivier Pélisson
Sortie : 5 décembre 2012
Age : à partir de 10 ans
Durée : 1h50
Un film portugais
Genre : Fantaisie
Réalisation : Miguel Gomes
Interprétation : Teresa Madruga, Laura Soveral, Ana Moreira, Henrique Espirito Santo, Carloto Cotta, Isabel Cardoso, Ivo Müller, Manuel Mesquita…
Miguel Gomes persiste et signe. Son cinéma ne ressemble à aucun autre et son troisième long métrage continue de creuser un sillon dense et passionnant. Tabou fait suite à La Gueule que tu mérites et Ce cher mois d’août et revisite l’histoire du Portugal à sa manière.
Aurora a dépassé les quatre-vingt ans et perd copieusement la boule. Sans rien perdre de sa cocasserie. Dès qu’elle le peut, elle s’échappe pour aller jouer son argent au casino. Mais sa femme de ménage veille au grain. Santa est capverdienne et sa « maîtresse » est persuadée qu’elle use du vaudou pour l’envoûter. Pourtant, ce que préfère Santa c’est lire « Robinson Crusoé » en fumant tranquillement. Quant à Pilar, retraitée bienfaisante et sans reproches, elle s’étonne des délires de sa vieille voisine mais ne comprend pas l’antipathie de sa bonne.
Tout ce présent pépère et rythmé par les fuites de l’aînée est dynamité par la requête d’Aurora qui n’en a plus pour longtemps à vivre : retrouver un homme qu’elle a connu cinquante ans plus tôt. Le film et les deux autres femmes partent alors à la recherche de l’inconnu et décollent vers un paradis perdu : les jeunes années d’Aurora dans une lointaine colonie africaine.
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3″ height= »191″ />Miguel Gomes invoque alors la magie du cinéma muet, la puissance esthétique du Super 8 et le romanesque colonial cher à Karen Blixen et à sa ferme africaine. Une fantaisie atypique et débridée nourrit la seconde partie du film et fait un écho rafraîchissant à la première. La vieille voisine délirante a été une belle et jeune aventurière de l’amour, au pied d’une montagne aux pouvoirs surnaturels.
Les femmes font avancer le récit comme elles font avancer le monde et le cinéaste les célèbrent sans les sacraliser. Il croit aussi dur comme fer au cinéma, à son histoire et à son pouvoir de fascination. Tabou en évoque ainsi un autre, le film ultime et éponyme de Murnau datant de 1931 et centré sur la fuite amoureuse d’un jeune couple interdit à Bora-Bora. Le jeune portugais rend hommage à son aîné allemand et explose la célébration respectueuse en s’amusant comme un petit fou.
Car les vieilles indignes font ce qu’elles veulent au présent. Enlever et remettre le tableau horrible d’un ami quand il passe. S’enfuir dans les couloirs et taper aux portes. Jusqu’à prendre la poudre d’escampette définitive. Et dans la seconde partie, les acteurs disent parfois ce qu’ils veulent dans les images sans paroles que le spectateur, s’il est liseur sur les lèvres et lusophone, peut s’amuser à déchiffrer. Le tout dans un noir et blanc charbonneux qui aspire le regard et l’esprit. Tout
comme le crocodile fétiche voit tout et veille…
Pour ce trait d’union entre hier et aujourd’hui, entre l’ici et l’ailleurs, Gomes a eu la bonne idée de construire un casting avec des interprètes venus du Portugal, des Açores, du Cap-Vert et du Brésil, et rassemblant à eux tous la riche histoire du septième art portugais, de Manoel de Oliveira à João Pedro Rodrigues, de João Cesar Monteiro à João Botelho, de Fernando Lopes à Teresa Villaverde.
Une heure cinquante de plaisir savoureux qui a déjà séduit la 62e Berlinale, où Tabou a reçu le Prix Fipresci de la critique internationale et le Prix de l’innovation Alfred Bauer en février, et le Festival Paris Cinéma, où il a glané un Coup de cœur du jury et le Prix des bloggeurs et du web en juillet dernier.
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